Zoom sur J.-K. Huysmans, qui fera l’objet d’une exposition permanente à la basilique

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Chers Amis de Huysmans, nous ne saurions trop vous recommander de vous abonner au Bulletin de la Société J.-K. Huysmans qui est la plus grande source documentaire sur cet écrivain.

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Vous savez notre projet d’installer dignement sa mémoire dans le cadre unique de la basilique de Marçay, à quelques pas de Ligugé en Poitou. Pour comprendre l’évolution personnelle de cet écrivain, passé du naturalisme au catholicisme, je vous invite à lire l’excellent ouvrage de Richard Griffiths qui exprime dans ce livre ce que nous allons mettre en scène à travers une exposition permanente sur ce site poitevin :

Richard Griffiths. The reactionary Revolution. The catholic Revival in french Literature, 1870-1914 – Louis-Alphonse Maugendre. La renaissance catholique au début du XXe siècle – Jacques Madaule. Claudel et le Dieu caché – André Robinet. Péguy entre Jaurès, Bergson et l’Êglise (Gadille Jacques, Revue d’histoire de l’Église de France, Année 1970, Volume 56, Numéro 156, pp. 170-173 )

Par ailleurs nous citons sur le même sujet un excellent article de Michel Winock : « Huysmans et la décadence », paru dans le mensuel « L’ Histoire » n°13 daté de juin 1979 à la page 76 (Gratuit) :

« Pendant longtemps, Joris-Karl Huysmans n’avait été, pour des générations de lycéens, qu’un nom parmi d’autres que les manuels de littérature française accolaient à celui d’école «décadente». Des gens lettrés en savaient plus mais il fallut attendre le début des années soixante et la réédition de Là-Bas par le Livre de Poche pour que Huysmans retrouve un public à la proportion de son talent. Gageons qu’il n’a pas fini sa carrière. On pourrait en effet se demander si la fin du XXe siècle ne va pas, par analogie, forcer notre attention sur la fin du siècle dernier: n’entend-on pas, ici et là, dénoncer les signes d’une nouvelle « décadence » ? Huysmans, pour le coup, pourrait bien redevenir notre contemporain.

Entre Zola et Breton

Trois livres, à peu près également célèbres, peuvent – grossièrement – résumer l’itinéraire de Huysmans. Le premier est A Rebours ; il date de 1884, son auteur a alors trente-six ans. Sans qu’il en ait bien conscience, Huysmans signe avec ce roman (roman ?) l’arrêt de mort du naturalisme. C’est qu’à ses débuts, lui-même était sous l’influence de Zola, dont il était devenu le familier. Dans ses premiers livres, dont A vau-l’eau est le plus significatif, il narrait de minables histoires où des antihéros tuaient tristement leur temps dans des milieux sordides. Mais ce n’était pas écrit de n’importe quelle encre: les Goncourt y avaient déposé quelques-uns de leurs fluides «artistes» et si l’on peignait l’infamie c’était avec des préciosités d’enlumineur.

Pour changer d’air («Je cherchais vaguement à m’évader d’un cul-de-sac où je suffoquais »), il imagine alors un personnage tout aussi dégoûté de la vie que ses précédentes marionnettes mais qui, par la culture et la richesse mises au service d’une imagination exubérante, va, après des tribulations vulgaires, tenter de fuir toutes les platitudes de l’existence en vivant la plus extravagante des aventures closes. C’est, en effet, en ne bougeant pratiquement pas de la villa de banlieue où il a fait retraite que le duc Jean des Esseintes pousse au paroxysme de l’artifice son goût démesuré du rare, de l’étrange, du nonpareil en tout genre. Fuyant la vulgarité du siècle, il fait de ses jours une rhapsodie de sensations exceptionnelles et de sa maison un kaléidoscope de « correspondances » baudelairiennes où les sons, les couleurs, les parfums, les saveurs et les émotions se répondent dans une luxueuse harmonie.

La « nature » n’était plus de saison. Le modeste fonctionnaire à la Sûreté générale (où Huysmans fut décoré de la Légion d’honneur comme sous-chef de bureau) nourrissait ses fantasmes des images obsédantes, de luxure et de sang, dont la peinture de Gustave Moreau hantait ses contemporains. C’est aux limites de l’imaginaire et aux confins de la névrose qu’un art nouveau éclatait. Les ivresses de L’Assommoir étaient devenues écœurantes ; au loin pointait la révolution surréaliste.

Le deuxième grand livre de Huysmans est Là-Bas, qui paraît en 1891. Durtal, le personnage central, fait une recherche historique sur Gilles de Rais, l’ancien compagnon de Jeanne d’Arc devenu le Barbe Bleue de la légende; chemin faisant, il entre en relations avec des milieux occulfistes et satanistes, peuplés de prêtres excommuniés et célébrant des messes noires, mais garde son quant-à-soi grâce à la conversation pleine de bon sens de Carhaix, sonneur de cloches à l’église Saint-Sulpice, dans le logement duquel (situé dans une tour de l’église) Durtal goûte au repos de l’esprit en même temps qu’aux délices culinaires de la femme du sonneur. Tout cela baigne dans une étonnante odeur de soufre et de pot-au-feu, de sacré et de profanation, de religion et d’érotisme. Comme nombre de ses concitoyens, Huysmans avait dit à un de ses amis qu’il cherchait dans les sciences occultes «une compensation aux dégoûts de la vie quotidienne, aux ordures de chaque jour, aux purulences d’une époque qui répugne». Mais Huysmans connut de véritables obsessions diaboliques: son extrême sensibilité l’exposait à des terreurs surnaturelles qu’une partie de son entourage quelque peu hallucinée renforçait.

Si Huysmans adhère au catholicisme comme en témoigne En Route, datant de 1895, c’est par quelques-uns des chemins étranges qu’annonçait Là-Bas. En particulier, l’influence qu’exerça sur lui Joseph-Antoine Boullan, prêtre défroqué, guérisseur et sectateur obsédé des problèmes sexuels, est aujourd’hui bien connue. La conversion de Huysmans fut du reste longtemps tenue pour suspecte. En Route, largement autobiographique, qui narrait le retour à la foi catholique de Huysmans sous les traits de Durtal et décrivait dans le détail la vie monastique, n’eut pas l’heur de convaincre tout le monde. Certains critiques exprimèrent leur doute quant à la sincérité de Huysmans, la religion n’étant ici que prétexte à littérature. De nombreux prêtres réagirent vivement aux attaques contenues dans le livre contre la médiocrité du clergé séculier. « Un tel livre, écrivait un jésuite, ne peut être remis aux mains ni des jeunes filles, ni des jeunes gens, ni des femmes honnêtes… »

Quoi qu’il en soit, Huysmans devait rester catholique jusqu’à sa mort, en 1907. Au moment même où l’Eglise semble incapable de surmonter ses crises internes, sa médiocrité intellectuelle et les coups que la loi républicaine achève de lui porter, on assiste à une série de conversions éclatantes dans le monde littéraire, qui annonce le revival catholique des débuts du XXe siècle. Paul Claudel, Francis Jammes, en attendant Jacques et Raïssa Ma-ritain (filleuls de Léon Bloy), Charles Péguy, Ernest Psichari, Henri Massis, ce sont, avec Huysmans, quelques-uns des noms les plus connus de ces convertis ; il y en eut de moindre talent mais non moins célèbres, tel Emile Baumann, dont les romans connurent de grands succès: la réaction anti-intellectualiste de l’époque, dont un des courants allait se fondre dans le nationalisme, produisait des effets en littérature, au point qu’un historien anglais, Richard Griffiths, a pu écrire : « Des écrivains…, pour la première fois depuis deux siècles, allient de profondes convictions religieuses à un véritable talent littéraire. »

Jean-Denis Touzot, libraire

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