Article publié dans le n°113-114 du Magazine du Bibliophile
Auteur : Guillaume d’Alibert
Le papier revêt pourtant une importance considérable, au point que même les économistes ne s’y trompent pas, puisqu’il appartient aux indices essentiels qui permettent de mesurer la bonne santé d’une économie. Rien de plus banal que le papier, or malgré une schématisation de sa production, sa fabrication repose sur des technologies complexes qui n’ont cessé d’être améliorées tout au long des siècles – et ce n’est pas terminé, car la chimie du papier n’a pas livré tous ses secrets…
Après le n°96 (septembre 2011) du Magazine du Bibliophile – «Cinq siècles de papier au bord de l’eau» et «Moulins à eau : des moteurs dans la vallée», p. 9, par Max Aubrun, puis notre n° 104 sur le Moulin du Got, le 750e anniversaire de la production de Fabriano en Italie nous invite à revenir sur une page importante de l’histoire du papier en Europe, celle de l’Italie il y a huit siècles. Mais comment y est-il arrivé ?
On sait que le papier est né en Chine, dans une histoire assez imprécise et mystérieuse… De nombreuses découvertes en archéologie permettent néanmoins aujourd’hui de corriger quelques imprécisions et ainsi d’éviter de considérer Ts’ai Lun comme l’inventeur du papier. De Chine, le papier arriva à Samarcande (751), puis de Samarcande à Bagdad (793) où ses techniques de fabrication se diffusèrent dans les grandes villes du Moyen-Orient, notamment à Damas (850), au Caire, puis à Fez (1100)… On raconte que des prisonniers chinois livrèrent aux Mongols leurs secrets du papier, mais bien plus tard, des prisonniers arabes auraient eux aussi livré ces secrets à Fabriano.
Ainsi la technologie de fabrication du papier arriva-telle en Europe par la Méditerranée, par l’Italie, et des preuves ont été bien établies de sa production à Fabriano en 1264… et par l’Espagne dont la moitié sud était en 1150 occupée par des royaumes musulmans qui se disputaient leur domination.
TECHNOLOGIE ARABE EN ESPAGNE
Jativa est le lieu incontesté de la fabrication de papier dans la péninsule ibérique au XIIe siècle. Mais nombre d’historiens estiment que cette fabrication a commencé bien avant en Al-Andalus, notamment à Cordoue qui fut dès le Xe siècle un centre important du livre – donc, par nécessité, de production de papier. «Dès la seconde moitié du Xe siècle, écrit Lucien Polastron, on avait commencé à en produire à Tunis, à Tlemcen, Fès et Ceuta. Il est donc vraisemblable que les premières fabrications européennes furent andalouses et antérieures à l’an mille. On n’en a néanmoins aucune preuve, d’autant qu’un pionnier de l’intégrisme brûla la plus grosse partie de la bibliothèque omeyyade en 979 et que le reste fut dispersé trente ans plus tard par un calife ruiné, ou ravagé par les Berbères […].»
La déclaration du célèbre géographe Al-Idrissi au sujet de Jativa ne laisse aucun doute : «[…] on fabrique ici un papier si extraordinaire qu’il n’a pas d’équivalent dans le monde et on l’exporte aussi bien en Orient qu’en Occident.» (Description de l’Afrique et de l’Espagne) Aux XIe et XIIe siècles, le papier circule en Méditerranée. Des papiers du Moyen-Orient se retrouvent en Italie, venant de Damas (charta damascena), de Tripoli… Effet des Croisades, la marine italienne se retrouve partout…
ÉCHANGES MÉDITERRANÉENS
Les ports italiens de Gêne, Pise, Venise, comme ceux du sud de la France, Marseille, Montpellier, Narbonne, connaissent une forte activité. Henri Alibaux (cité par Bernard Musa) note que les actes sur papier les plus anciens des Archives nationales de France proviennent du midi, par exemple le Registre des comptes d’Alphonse de Poitiers [AN K. K. 376] : 1243-1248. Une lettre papier de Raymond, Comte de Toulouse, adressée à Henri III d’Angleterre, présente à Londres [Record Office Museum, case A N°15] aurait été écrite entre 1216 et 1222…
Dans les ports italiens très actifs au Moyen Âge, notamment à Ancône, se négociaient les papiers orientaux… Or Fabriano n’est pas très loin. Cette petite commune qui n’est pas née avec le papier va pourtant en devenir le premier vrai centre européen. Voici comment l’histoire ou seulement la légende se raconte à Fabriano… «Il était une fois un groupe de pirates arabes, rapporte Erik Orsenna, parmi tous ceux qui infestaient la mer Tyrrhénienne. Leur bateau fut arraisonné par des marins d’Ancône. Ils furent emprisonnés et emmenés en un lieu perdu d’où ils pourraient difficilement s’enfuir : Fabriano. Or certains de ces Arabes avaient, avant la piraterie, exercé le noble métier de papetier. Ils échangèrent leur compétence contre une amélioration de leur sort.»
De fait, dans ce lieu reculé de Fabriano, les moulins fleurirent : on en compta jusqu’à une soixantaine. Le papier de Fabriano se retrouva partout dans l’Europe entière. Utilisé par aussi bien par Michel-Ange (Michelangelo Buonarotti) que par Beethoven… Il faut dire qu’avec Fabriano, les techniques médiévales de départ furent sérieusement améliorées…
Retrouvez cet article en intégralité dans le n°113-114 du Magazine du Bibliophile