A l’occasion des fêtes de fin d’année, nous reproduisons dans nos colonnes cet article publié par la « newslettre@dicopathe.com » , nouvelle encyclopédie du savoir en ligne à laquelle nous vous conseillons de vous abonner. Nous ne saurions tomber dans la facilité très médiatisée des « bêtisiers » de toutes sortes, mais nous vous proposons de découvrir à travers la bibliophilie un monde merveilleux et insoupçonné de Géants !
« Des livres hors normes »
Quel est le collectionneur de beaux livres, d’atlas ou d’encyclopédies qui ne s’est pas un jour retrouvé dans un cas de figure à la fois énervant et comique, du moins pour un observateur extérieur : se trouver très dépourvu et perplexe devant les étagères de sa bibliothèque pour y caser une acquisition au format disons “atypique”, c’est-à-dire aux dimensions bien supérieures à la moyenne ? Après avoir bataillé pendant des heures, tenté diverses configurations, espérant inconsciemment que de lui-même le livre accepterait de changer de mensurations, le propriétaire, de guerre lasse, finit par le ranger à plat sur d’autres livres, sur ou sous le rayonnage, voire à côté de la bibliothèque. C’est ainsi que l’ouvrage récalcitrant finit par sortir vainqueur incontesté de la partie de Tétris vainement engagée par son acquéreur.
Les livres que nous allons présenter dans ce billet sont hors compétition, car ce sont de véritables “monstres” qui donnent l’illusion de se comporter comme Gulliver au pays des géants. Depuis l’invention de l’imprimerie, les éditeurs ont eu le souci constant, pour répondre à l’attente du public, de faire en sorte que leurs ouvrages soient de plus en plus faciles à manier et à ranger. Pourtant, à contre-courant de ce tropisme, certaines œuvres se sont engagées sur un chemin inverse, vers le gigantisme.
Si le Moyen Âge nous a légué un bon nombre de livres de grandes dimensions comme des psautiers et des antiphonaires qui en leur temps nécessitaient des lutrins pour pouvoir être consultés, un célèbre manuscrit peut revendiquer la palme dans ce domaine ; il s’agit du Codex Gigas (ci-dessous).
Haut de 97 cm, large de 50 cm de large, épais de 22 cm et pesant près de 75 kilos ce livre revêt une taille tout à fait exceptionnelle. Rédigé au XIIIe siècle dans un monastère de Bohême, il se trouve actuellement conservé dans la Bibliothèque Nationale de Suède. En plus de ses imposantes proportions, la célébrité de cet étrange ouvrage tient à un contenu, richement illustré, qui lui vaut le surnom de « Bible du Diable ». En effet il s’agit d’une Bible à laquelle ont été adjoints divers écrits comme les Étymologies ou l’Ars médicinae, mais elle doit sa célébrité à un grand portrait en pied du diable qui trône au milieu d’une page. Associée aux mystères de l’histoire de ce manuscrit, cette représentation saisissante a, depuis des siècles, nourri tout un imaginaire et engendré diverses légendes. Nous y reviendrons ultérieurement en détail dans un autre billet.
Le Klencke atlas
Malgré son format exceptionnel, le Codex Gigas fait pourtant figure de « petit joueur » à côté d’un ouvrage conservé depuis 1828 par la British Library : le Klencke Atlas (ci-dessous).
D’une hauteur de 1,75 m pour une largeur, une fois ouvert, de 1,90 m, ce livre requiert la mobilisation de six personnes pour être déplacé et manipulé. Offert en 1660 par le professeur Johannes KLENCKE, mandaté par un consortium de commerçants hollandais, au roi CHARLES II, cet atlas comprend 39 pages de texte et 37 cartes, qui de toute évidence étaient destinées, une fois retirées du livre, à être affichées au mur. Ses dimensions n’ont pas découragé les conservateurs de la British Library qui, courant 2017, sont parvenus à le digitaliser.
Pendant de nombreuses années, ce livre a été reconnu comme le plus grand atlas du monde. Ce record est tombé en février 2012, lors de la présentation publique du Earth Platinum (ci-dessous).
Le Earth Platinum
Pendant quatre années, 88 cartographes ont travaillé, pour le compte de la maison d’édition australienne Millenium House, à la réalisation de ce livre de 1,80 m de hauteur pour 2,80 m de largeur une fois ouvert. Riche de 128 pages de cartes et de photographies panoramiques, et détaillé au point d’y voir figurer les emplacements des épaves de navires, cet atlas répond à un véritable rêve de géographe. Livre de tous les records, l’ouvrage pèse 150 kilos, et chacun de ses 31 exemplaires imprimés vaut la bagatelle de 100 000 $ ! Heureusement pour les amateurs, des versions plus condensées et accessibles ont également été publiées, mais néanmoins toujours en édition limitée : il s’agit du Earth Blue et du Earth Gold.
Le “bibliogigantisme” au Mexique
La suite de notre inventaire nous conduit au Mexique où, au début du XVIIIe siècle, a été réalisée, par un prêtre nommé Miguel de AGUILAR, toute une série de livres de chants religieux de très grand format, destinés aux monastères.
Restauratrice d’ouvrages anciens à l’université de Mexico, Tania ESTRADA VALADEZ (ci-dessus avec l’un d’eux, le Libro de coro, datant de 1715) a réussi à reconstituer, à l’exception d’un livre encore manquant, la collection d’une douzaine de volumes dispersés en 1915.
Les mystères de Prague
Par leur aspect, ces livres ne sont pas sans évoquer les livres “mystérieux” de Prague. Pourquoi mystérieux ? Parce qu’en fait l’existence supposée de ces livres géants du XIVe siècle ne repose que sur une photo qui circule sur le net depuis 2013 (ci-dessous) :
Dès son apparition, ce cliché surprenant, légendé comme datant des années 1940, aurait été pris par un certain M. PETERKA dans les archives du château de Prague. Mais les dirigeants de cette institution démentent avoir jamais eu en leur possession de tels ouvrages qui, il est vrai, n’auraient pas pu passer facilement inaperçus. Depuis l’apparition de ce cliché, des rumeurs et des théories plus ou moins farfelues alimentent blogs et forums, l’hypothèse d’un très habile montage Photoshop n’étant pas totalement écartée.
La course au Guiness Book
À notre époque, grande pourvoyeuse de coups médiatiques et publicitaires, il était impensable de ne pas présenter des livres toujours plus extraordinaires. C’est ainsi qu’en février 2012 le Guinness Book enregistre un nouveau record : un livre de 5 mètres de haut doté d’une envergure de 8 mètres pour un poids d’environ 1 500 kilos.
Cet ouvrage de 431 pages, reproduisant un texte à la gloire de MAHOMET, a mobilisé près de 300 personnes pendant neuf mois, avant d’être achevé et exposé dans une galerie commerciale d’Abou Dabi . Conçu pour contribuer au prestige des Émirats Arabes Unis, ce livre a ensuite été exposé dans divers pays musulmans.
Mais deux ans plus tard c’est au Brésil qu’est établi le nouveau record du plus gros livre. Vinicios Leoncio est le responsable de cet exploit réalisé dans le but de dénoncer de manière spectaculaire la bureaucratisation délirante de son pays. Selon ses dires “Le Brésil est leader absolu en bureaucratie fiscale, selon une étude qui englobe 183 pays. Une entreprise brésilienne passe en moyenne 2.600 heures par an à résoudre sa bureaucratie contre 180 heures en Europe… Au Brésil on crée 35 règles fiscales par jour”. Afin de frapper un grand coup médiatique, et fort du soutien de 200 parlementaires, il fait réaliser un immense ouvrage, contenant quatre millions de règlements fiscaux. Constitué de 41 266 pages, le monstre mesure 2m10 de hauteur, 1m40 de large et pèse sept tonnes et demi (ci-dessous).
Ironiquement dénommé “Patrie aimée” (Patria amada), le livre est déposé par camion devant le Congrès à Brasilia fin mars 2014. L’ouvrage, qui n’a pas vraiment été conçu pour être lu, a parfaitement rempli sa fonction première : “faire le buzz” en captant l’attention des médias sur un sujet sérieux, mais, il faut le dire, bien peu glamour.
Un autre ouvrage “expérimental” voit le jour en 2012 en Grande-Bretagne. Dès 2009, son auteur, le Britannique Rob MATTHEWS, étudiant en graphisme, après avoir entrepris de convertir en livre imprimé 437 articles du Wikipédia en anglais, finit par présenter le résultat de son travail sous la forme d’un énorme ouvrage de près de 5 000 pages (ci-dessous), qui occuperait à lui seul un rayonnage, s’il était possible de le soulever et le manipuler sans encombre !
Cet exploit a donné des idées à Michael MANDIBERG qui, en guise de performance artistique, projette d’imprimer l’ensemble du Wikipédia en anglais, soit 11,5 millions d’entrées réparties en 7 600 volumes, dont 91 seraient à eux seuls consacrés à la table des matières. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce vertigineux défi.
Les livres-monuments
Mais, si nous ne nous cantonnons pas à la définition du livre comme limitée à un objet imprimé sur papier, papyrus ou parchemin, le véritable détenteur de titre de plus grand livre du monde est… un temple bouddhiste localisé à Mandalay en Birmanie (vue aérienne ci-dessous) !
En effet, le superbe ensemble de la pagode Kuthodaw, édifiée au xixe siècle, abrite une reproduction à grande échelle du Tipitaka, soit le canon bouddhique en langue pali. Le texte est gravé sur les deux faces d’une série de stèles de 1,50 m de haut (ci-dessous à gauche) abritées par 729 petits stupas blancs (ci-dessous à droite).
Cette évocation nous permet de conclure notre billet par le concept du livre monumental voire architectural. De nombreuses villes abritent désormais des sculptures, des peintures murales, ou plus rarement des bâtiments, reprenant la thématique du livre géant. Quelques exemples figurent ci-dessous : la Kansas City Public Library (en haut à gauche), le Walk of Ideas exposé à Berlin en 2006 (en haut à droite), les livres géants répartis à travers la ville de Nankin en juin 2017 (en bas à gauche), et la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence (en bas à droite)
Après ce petit voyage au pays de la démesure, nous traiterons, dans un second billet, de livres qui, bien que dotés de formats “classiques”, n’en constituent pas moins des ouvrages hors normes.