Colloque annuel 2018 : « Association of European Printing Museums »
Après l’imprimerie : la reliure comme patrimoine graphique & culturel
La reliure est une étape essentielle du processus de publication. Sans elle, les textes composés, les feuilles imprimées ne pourraient devenir des livres. La plupart des reliures répondent à un objectif purement utilitaire. D’autres, en revanche, ont une réelle valeur artistique et méritent d’être exposées. Les reliures historiques sont d’un immense intérêt et font l’objet de présentations régulières dans les musées et les bibliothèques. Quelle que soit la nature de leur reliure, élaborée ou pour un usage quotidien, les livres ne sont pas les seuls à témoigner de la dimension historique ou artistique de la reliure. D’autres objets liés à la reliure sont également d’une importance capitale car ils nous aident à mieux comprendre l’histoire de la culture écrite et imprimée. Les machines et les outils des relieurs sont ainsi particulièrement intéressants, tout comme, par exemple, les fers à dorer qui sont de formidable exemples de la gravure artistique. Les changements technologiques, les savoir-faire, les compétences, c’est-à-dire le patrimoine immatériel de la reliure, sont aussi d’un grand intérêt.
Le colloque a donc porté sur tous les aspects du patrimoine matériel et immatériel de la reliure et sur sa place dans les musées de l’imprimerie :
• L’histoire de la reliure ; le point sur la recherche autour des objets et des techniques relatifs à ses applications artistiques et industrielles,
• La reliure contemporaine : les nouvelles techniques, leur développement, le rôle des musées dans la valorisation de la reliure contemporaine,
• La conservation : techniques et problèmes rencontrés ; préservation et restauration dans les collections des musées,
• Matériaux et outils de reliure,
• Ateliers pratiques et autres formes de médiation comme moyens préservation et de transmission aux générations futures des savoir-faire artisanaux et du patrimoine immatériel de la reliure,
• Le rôle des ateliers de reliure dans les musées : pour les démonstrations devant les visiteurs, comme archives techniques et pour la conservation et la restauration des fonds.
Communications :
1) Pascal Fulacher
Director of the Atelier du livre d’art et de l’estampe et du patrimoine de Imprimerie nationale, France.
Rédacteur en chef deux magazines culturels, Art & métiers du livre(1985-2001), et Plume, magazine du patrimoine écrit (2007- 2015), Pascal Fulacher a également dirigé la maison d’édition Art & métiers du livre/éditions (1994-2001), puis a été le conservateur de deux musées consacrés au patrimoine écrit à Paris et à Bruxelles (2003-2015). Il est également l’auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages dont : Papiers et moulins des origines à nos jours (Art & métiers du livre/éditions, 1989 et 1997), Six siècles d’art du livre, de l’incunable au livre d’artiste (Citadelles & Mazenod, 2012), Jean Cocteau le magnifique. Les miroirs d’un poète(Gallimard, 2013). Il a soutenu une thèse de doctorat (Université Paris-Sorbonne) en 2004 sur L’esthétique du livre au XXe siècle, dans laquelle sont retracés les différents courants esthétiques de la typographie, de l’illustration et de la reliure. Il est depuis 2016 le directeur de l’Atelier du livre d’art et de l’estampe et du patrimoine de l’Imprimerie Nationale.
Reliures contemporaines : des œuvres d’art à part entière ?
C’est dans les années 70 qu’apparaît en France un intérêt marqué par les institutions pour la reliure d’art contemporaine. C’est la bibliothèque nationale qui a ouvert la voie en 1977 suivie au début des années 90 par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris qui donna une réelle ampleur à ce mouvement. Bien d’autres bibliothèques et musées ont alors commencé à commander des reliures auprès d’artistes relieurs de divers horizons et à organiser des expositions de reliures d’art. Un certain nombre de questions se sont alors posées à celles-ci : que faire relier ? Pour quelles raisons ? Sur quels critères s’appuyer pour le choix de tel relieur, de telle reliure ? Dans quelle mesure peut-on orienter le relieur vers telle technique et telle esthétique ? Quel est le coût d’une reliure de création ? Comment conserver et exposer de tels objets parmi les livres et autres objets de collection ? Nous avons tenté de répondre à toutes ces questions, ce qui nous a conduit à mieux définir le statut de la reliure d’art contemporaine au sein des collections patrimoniales.
2) Elke Van Herck
Plantin-Moretus Museum, Antwerp, Belgium.
Après une maîtrise en restauration-conservation avec une spécialisation en papier et en livres, Elke Van Herck a suivi un stage à la British Library de Londres et au Trinity College de Dublin. A ce jour, elle est à la fois restauratrice indépendante et chargée de la conservation-restauration des collections des musées de la Ville d’Anvers, dont bien sûr le Musée Plantin-Moretus. Elle veille sur les livres, dessins, gravures, papiers divers. Elle est également membre de plusieurs comités consultatifs et a donné des cours sur la conservation-restauration des papiers et des livres.
Préservation du patrimoine papier/livre pendant la rénovation de la collection permanente du musée Plantin-Moretus ; les mesures prises pendant le déménagement de la collection historique
En 2016, le musée Plantin-Moretus a entrepris deux changements d’envergure, ayant tous deux pour objectif la préservation de la riche collection de papier et de livres rares. Le projet le plus visible a été la rénovation de sa collection permanente, qui s’est accompagnée de mesures d’amélioration des conditions de conservation dans le bâtiment historique du point de vue des normes climatiques. Il a été beaucoup question de la façon d’exposer les ouvrages précieux. Sur quelle période un ouvrage rare peut-il être montré au public ? Les œuvres incontournables doivent-elles être présentées en continu ? Il a fallu envisager plusieurs plans de conservation, en fonction du nombre et de la nature des ouvrages exposés, de leur état et des délais à respecter du point de vue de la conservation, et du nombre de personnes disponibles (du musée ou bénévoles) pour mener à bien tous ces nouveaux chantiers.
Parallèlement à la transformation de l’exposition permanente, il a fallu également mettre en œuvre le déménagement vers un autre local des collections de gravures anciennes, de dessins, de livres rares, des archives historiques. L’objectif : offrir à ce patrimoine des conditions de conservation optimales, pour maintenant et pour l’avenir. Un système de récolement à la fois numérique et visuel a été mis en place dans le but d’avoir une vue précise de l’état des livres à déplacer. Le système permettait aussi d’évaluer le nombre et la nature du matériel de conservation et des emballages nécessaires à l’opération de transfert. On a alors créé une zone de transition, afin que les livres, en accédant à leur nouvel habitat, soient immédiatement pris en charge, traités et donc préservés pour l’avenir.
3) José Bermejo
Imprenta Municipal – Artes del Libro, Madrid, Spain.
Diplômé en histoire moderne et contemporaine (Université autonome de Madrid, 1986), José Bermejo a mis en œuvre, de 1986 à 1992, les actions de formation et les programmes de l’Ecole de reliure de l’Imprenta Artesanal de Madrid, dont il est devenu le directeur en 1990. On lui doit plusieurs expositions et publications, qui ont contribué à faire de l’établissement un centre de référence pour le patrimoine imprimé. La Imprenta Artesanal est devenu, grâce à José Bermejo, la Imprenta Municipal-Artes del Libro ; il l’a dirigée jusqu’en 2016 et il est à ce jour chef du département des musées de Madrid.
José Bermejo est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’imprimerie et l’histoire de la reliure, notamment la Enciclopedia de la encuadernación (Ollero y Ramos, 1999), et Las artes gráficas y la fabricación del libro, en Historia de la edición en España 1939 – 1975 (Marcial Pons, 2015).
Pourquoi des ateliers professionnels et grand public dans les musées ?
Les musées de l’imprimerie et du livre présentent généralement des objets et documents de toutes les époques et les explicitent par des commentaires sur l’évolution des différentes techniques utilisées. Si nécessaires soient-elles, ces informations ne parviennent pas totalement à expliquer le phénomène culturel que sont les arts graphiques, la culture écrite et le livre. Aujourd’hui, les missions des musées sont bien sûr la conservation, la recherche, la documentation, mais aussi le partage didactique de toutes ces données, afin que chacun puisse élargir ses connaissances. Certaines techniques, certains savoir-faire ne sont cependant pas représentés, incarnés dans des objets ou documents exposés. Les arts graphiques, la reliure, ont évolué au fil du temps, certaines pratique, indispensables pour comprendre ce patrimoine, se sont perdues. Techniques, compétences, savoir-faire, méthodes de travail constituent un patrimoine immatériel. La mission des musées est de les préserver, de les documenter, et de les faire connaitre. C’est l’objectif dévolu aux ateliers organisés, dans les musées, pour les professionnels comme pour les amateurs. José Bermejo a développé plus particulièrement cette pratique et ses problématiques au sein de l’Imprenta Municipal.
4) Maria Luisa López-Vidriero
Bibliothèque royale, Madrid, Espagne
María Luisa López-Vidriero dirige la Bibliothèque royale d’Espagne depuis 1991. Formée à l’histoire du livre et de la lecture, elle a pu mettre à profit ses compétences dans le cadre de ses missions à la bibliothèque de l’université de Salamanque, à la bibliothèque de l’université Complutense de Madrid, et au département des livres rares de la Bibliothèque nationale à Madrid.
Le fil d’Arachnée ou les reliures royales sur la toile
La base de données des reliures de la Bibliothèque royale de Madrid résulte de la prise de conscience que la reliure est indispensable à la compréhension et à l’interprétation de la collection elle-même. Cette base de données, organisée comme un tissage, répond à un schéma précis : décrire la bibliothèque en tant que collection privée transmissible de règne en règne, mais aussi corps de l’Etat, dont elle est la représentation symbolique et dont elle énonce les partis-pris esthétiques. Chaque livre de la Bibliothèque royale est unique par sa reliure, élément révélateur de sa singularité. La base de données illustre ce concept d’interpénétration des données, où bibliographie et techniques de reliure s’interpénètrent.
5) Katharina Mähler
Herzog August Library, Wolffenbüttel, Allemagne.
Katharina Mähler est maître-relieuse et conservatrice avec une spécialisation livres et papier. Au début de la photocomposition, elle a également travaillé comme technicienne pré-presse. Elle est aujourd’hui, et depuis 1993, directrice adjointe du département conservation de la Bibliothèque Herzog August de Wolfenbüttel (Allemagne, Basse-Saxe) ; elle a également exercé en Suisse, à Berne. Ses missions s’attachent à la conservation d’une vaste typologie de documents, des manuscrits médiévaux aux livres imprimés de toutes les époques, des livres d’artistes aux œuvres dites graphiques.
Katharina Mähler s’intéresse particulièrement à l’histoire de la reliure et aux techniques du papier décoré.
Les reliures de la Bibliothèque Herzog August
Fondée en 1572, la Bibliothèque Herzog August est l’une des plus anciennes au monde et l’une des rares à avoir survécu jusqu’à aujourd’hui sans dommage à son célèbre patrimoine. Elle déroule une paisible histoire de quatre cents ans de collections de livres, beaucoup ont contribué à leur enrichissement, des familles ducales aux érudits ou aux bibliothécaires. La Bibliothèque est donc une mémoire intacte, sans interruption du souvenir, ce qui permet de visualiser livres imprimés et manuscrits dans un contexte historique préservé. Les chercheurs ont ainsi la possibilité d’étudier les livres pourvus de leurs reliures d’origine, d’évaluer le marché du livre tel qu’il était dans le passé, de suivre la migration des ouvrages à travers l’Europe et de tracer un portrait social et sociologique de leurs propriétaires ou de leurs acquéreurs.
L’intervention de Katharina Mähler a porté sur les reliures remarquables de la Bibliothèque Herzog August, en particulier celles, décoratives ou utilitaires, qui protègent aujourd’hui encore les ouvrages du Moyen-Age. L’accent a été mis sur différentes structures de reliures particulièrement difficiles à conserver et les défis à relever pour assurer leur pérennité. Katharina Mähler a évoqué aussi les diverses opérations de conservation qui ont ponctué la longue histoire de la Bibliothèque.
6) Rosita Nenno
Offenbach, Allemagne
Rosita Nenno a étudié l’histoire de l’art, l’art islamique et la littérature française à Sarrebruck et Paris. Après une mission au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, elle devient responsable pendant vingt-huit ans des collections européennes du Musée du cuir d’Offenbach en Allemagne. Actuellement à Francfort, elle assume des missions de conservation pour les musées et poursuit des recherches dans le domaine de la mode, du design, des stratégies de vente dans l’industrie textile pour la période 1920 – 1930. Elle est membre du conseil d’administration de l’ICOM ICDAD (Comité international pour les musées des arts décoratifs et du design), du réseau interdisciplinaire Mode-Textile et de l’Association des historiens d’art allemands.
Ignatz Wiemeler et ses ingénieuses reliures, une collection emblématique du Klingspor Museum d’Offenbach (années 1920 et 1930)
En 1921, Ignatz Wiemeler commence à enseigner à l’Institut technique et commercial d’Offenbach où il rencontre Karl Klingspor, grand bibliophile et également propriétaire de la fonderie de caractères Gebr Klingspor. Influencé par sa collaboration avec le typographe/graphiste Rudolf Koch et par Ernst Engel, Wiemeler crée plus d’une centaine de reliures pour Karl Klingspor qui, pendant trente ans, a été son plus important commanditaire et collectionneur. Même après son installation à Leipzig en 1925, Wiemeler est encore sous l’influence des travaux réalisés à Offenbach ; on la décèle dans ses mises en pages et ses créations graphiques.
Tout en présentant les collections du Klingspor Museum d’Offenbach, l’intervention de Rosita Nenno a concerné essentiellement les reliures de Ignatz Wiemeler.
7) Aitor Quiney
National Library of Catalonia, Barcelona, Espagne.
Aitor Quiney Urbieta est docteur en histoire de l’art de l’Université de Barcelone, diplômé en sciences humaines de l’Université ouverte de Catalogne et titulaire d’une maîtrise en restauration et conservation. Il exerce actuellement les fonctions de conservateur à la Bibliothèque nationale de Catalogne. Il mène des recherches sur le livre catalan depuis 2001, spécialement sur les aspects historiques et esthétiques de la reliure et sur la notion de livre comme objet d’art. Son travail l’a également orienté vers la recherche sur les arts en Catalogne et aux Iles Canaries, de la fin du XIXe siècle jusqu’aux mouvements d’avant-garde et à l’art de l’après guerre civile espagnole. Aitor Quiney Urbiesta a été le commissaire de nombreuses expositions : Emili Brugalla, enquadernador (2001), Hermenegildo Miralles, arts gràfiques i enquadernació (2005), recompensée par le prix Recuperació i recerca de la Memòria Històrica de Arts Gràfiques a Catalunya’s , Colleccions privades, llibres singulars (2005), Emili i Santiago Brugalla, el seu llegat patrimonial (2009), L’exlibrisme a Catalunya al voltant del 1900 et Encuadernación y Bibliofilia en la Associació de Bibliòfils de Barcelona (2015).
La collection d’outils de finition de l’atelier de Brugalla dans le fonds de la Bibliothèque nationale de Catalogne. Un modèle de conservation du patrimoine de la reliure artistique
L’atelier d’Emilio et Santiago Brugalla a été considéré de 1931 à 2007 comme le plus important en Espagne dans le domaine de la reliure artistique. Lorsque, en 2008, la Bibliothèque nationale de Catalogne a racheté l’équipement de cet atelier, elle est devenue l’une des plus importantes d’Europe pour la conservation du patrimoine technique et artistique de la reliure. La Bibliothèque nationale s’est ainsi enrichie des 5 000 outils de finition constituant l’équipement de l’atelier : matériel divers, règles, roulettes, blocs mais aussi modèles, croquis et motifs de reliure artistique. L’acquisition comprenait également un ensemble d’ouvrages traitant de la reliure, 500 livres reliés par l’atelier Brugalla, les archives de l’atelier incluant documents divers, correspondances, photographies et écrits d’Emilio Brugalla, spécialiste et auteur dans son domaine. Aitor Quiney Urbieta est intervenu sur le thème du catalogage et de la conservation du fonds Brugalla, en portant une attention particulière aux outils de finition et à la collection de reliure de la Bibliothèque nationale.
8) Stefan Soltek
Klingspor Museum, Offenbach, Allemagne
Stefan Soltek est né en 1956 à Cologne, en Allemagne et a suivi des études d’histoire à l’université de Cologne et de Bonn. Sa thèse sur les fonts baptismaux médiévaux l’a amené à étudier l’art des tout premiers livres. Après une collaboration au musée national de Cassel, il a été conservateur de la collection Linel (livres d’art et de design graphique) du musée d’Arts appliqués de Francfort. Depuis 2002, il dirige le musée Klingspor d’Offenbach. La plupart de ses publications portent sur les arts du livre et le design graphique.
L’esprit et la matière : comment l’intention de l’artiste relieur confère son apparence au livre
Le musée Klingspor conserve une collection de livres de 1900 à nos jours. Bien que non spécialisé dans la reliure, le musée offre un large panorama de la place accordée à la reliure dans l’art du livre et donne un substantiel éclairage sur la conception de la couverture en fonction de l’importance du livre pour l’artiste relieur. L’intervention de Stefan Soltek porte sur plusieurs exemples de reliures élaborées très exactement en fonction de la lecture que l’artiste lui-même fait du livre. En effet, plutôt que de décorer un livre au sens premier du terme, certains artistes ont choisi d’intégrer la reliure à la signification de l’œuvre elle-même. Des exemples pris dans la collection du Musée des arts appliqués de Francfort-sur-le-Main ont éclairé son propos.