Le Livre électronique ou « e-book » : authentification et corruption du texte.
Nous venons d’assister une fois de plus à une stupéfiante attaque de malveillants de la « Toile » qui ont fait dévisser en quelques instants l’action d’un géant coté en Bourse « VINCI » ! Nous nous souvenons encore de malfaiteurs ayant pu accéder au cœur des systèmes hyper protégés du « Pentagone » ou du « Ministère des Finances » par exemple….Simple libraire ou lecteur, je me pose désormais la question de la fiabilité des textes que nous pourrions lire en ligne, sans qu’aucune autre forme d’édition « témoin » ne puisse exister afin que nous soyons certains que nous ne sommes pas abusés par autrui. S’il est aussi facile pour des informaticiens chevronnés de devenir des espions à la solde de clients mal intentionnés, nous verrons certainement bientôt des plumes invisibles corriger, dans le brouillard des logiciels et des pixels, des textes abandonnés en toute confiance à la lecture des internautes. Il existe bien sûr un gendarme de la Bourse, des programmes « pare-feu » pour verrouiller et sécuriser l’information, mais nous constatons leur faiblesse en cas d’attaque massive ou particulièrement intelligente. Dans ce contexte, je ne suis pas certain que les éditeurs en ligne aient les moyens de garantir à vie l’intégrité de leur production. Il est loisible aujourd’hui de concevoir l’intérêt qu’il y aurait à transposer la pensée d’autrui pour servir une cause opposée à celle défendue dans le propos initial. Il est très facile de changer le sens d’une phrase à l’aide de quelques mots discrètement insérés ou subtilisés. Dans l’édition classique, on fait souvent appel à un correcteur spécialisé, et l’auteur lui-même est de plus en plus chargé de ce travail qui, une fois fait, n’est plus remis en question puisque l’impression sur papier scelle définitivement la forme de l’ouvrage. Qu’en sera-t-il donc demain des textes mis en ligne qui vont petit à petit s’amonceler ? Quelle entité, quel système de contrôle pourrait-il être inventé pour gérer la stabilité et la sûreté de cette masse d’informations, croissante à l’infini ? Comment en aurions-nous le temps ou trouverions les moyens financiers ? Ressentons-nous seulement le besoin aujourd’hui d’agir en ce sens ? Je n’en suis pas si sûr, mais voyons ce que l’histoire nous enseigne.
L’authentification d’une information ou d’un texte est liée à la signature du document. La signature apposée à la dernière ligne est bien supérieure à la parole donnée dans le cas de l’oralité et l’humanité a mis des siècles à construire cette preuve cohérente et indiscutable. Je vous conseille de lire à ce sujet l’ouvrage de Marie-Claude Guigue, archiviste-paléographe, « De l’Origine de la signature » paru en 1863. L’on y découvre le long et patient chemin qui mène du « signum » et de la « subscriptio » des Romains, à la signature autographe rendue obligatoire par ordonnance au XVIème siècle et jamais remise en question depuis cette époque sur les documents publics.
La corruption est l’accident le plus banal qui puisse arriver à n’importe quel texte au cours de son existence. Si l’on doit excuser les copistes du moyen-âge qui introduisaient des fautes par suite d’une distraction dans le cadre de leur travail fastidieux, l’on doit remercier les éditeurs et imprimeurs qui ont su élaborer au cours des siècles suivants une suite d’opérations rendant impossible le doute sur la véracité du texte imprimé par rapport au manuscrit de l’auteur ; nous conviendrons que les coquilles sont des peccadilles. Il demeure cependant l’incertitude sur les éditions posthumes, les « textes établis » d’après des originaux perdus de nos jours, les textes retravaillés, réécrits pour une meilleure compréhension, les traductions dont le sens final repose sur l’interprétation et la connaissance d’une seule personne… l’exemple le plus illustre que l’on peut citer est le cas de la collection « Budé » publiée par les « Belles Lettres » qui, depuis 1917, continue de corriger et de mettre à jour la pensée des auteurs Gréco-Latins, en traquant toutes les fautes de sens qui pourraient encore se cacher au plus profond des textes.
Les automatismes de confort, engendrés par la facilité de la consultation sur la toile, nous donnent aujourd’hui un sentiment de puissance aveugle qui pourrait nous faire retomber dans l’erreur la plus totale en paralysant nos réflexes. La « machine » serait plus intelligente et nous avons confiance dans ce que nous voyons ! Mais nous n’avons pas toujours le savoir ni la visibilité souhaitable pour analyser la valeur de la source de l’information que nous consultons et nous ne nous forçons pas naturellement à prendre le temps nécessaire à cette recherche, tant la démarche peut nous paraître longue et inutile à l’époque stridente où nous vivons. Il en résulte que la toile nous rend crédules, paresseux, fascinables à merci. La majorité d’entre nous, assujettie par la force de l’image, prend pour « argent comptant » ce qu’elle voit. Il est donc tentant pour les cyber-espions de profiter de notre endormissement pour altérer subrepticement les données dont nous nous gavons. L’e-livre n’est peut-être pas encore rentré dans le champ de leurs objectifs, mais il demeure une cible potentielle et universelle, une proie facile.
Jean-Denis Touzot