Evocation par Jean-Denis Touzot
Voici un poète maudit, presque oublié de nos jours, un « gueux » comme on disait alors, et qui eut le privilège de croiser sur sa route Rimbaud, Verlaine, Forain, Bourget, Ponchon, Richepin, Cros, Mallarmé et bien d’autres lorsque dans sa jeunesse il faisait partie du groupe, des « Vivants ». Né à Pourrières en 1851 et mort dans ce même village du Var en 1920, il commence ses études au petit séminaire d’Aix-en-Provence, croyant embrasser la prêtrise à cette époque ; « Mes oncles à Aix auraient été heureux de me voir devenir prêtre », mais sa destinée est ailleurs et il décide « bachelier, j’irai alors aux Beaux-Arts à Paris, car c’est à Paris, là et pas ailleurs, que je veux vivre ». Il s’y installe à l’automne 1872, 16 rue de Vaugirard, fréquente « rapins chevelus, poètes faméliques, gazetiers à la ligne et filles à bon marché » et dans le secret commence à composer de nombreux poèmes. Il fait rapidement la connaissance de Jean Richepin, l’auteur de la « Chanson des Gueux » puis de Charles Cros avec lesquels il déjeune souvent chez « Polydore », célèbre cantine de quartier qui existe toujours rue Monsieur le Prince. C’est à Richepin qu’il révèle l’un de ses premiers écrits, qui pourrait se comprendre comme une émulation directe, et qu’il intitule : « La chanson du mendiant ». Son refrain « Je fais mon train, en mendiant mon pain » est particulièrement évocateur comme la suite : « Je n’ai qu’une chemise pour mon équipement, et quand vient la lessive, je la sèche au beau temps. Quand je vais à l’église on me fait comme au roi : tout le monde s’empresse de s’éloigner de moi. Ce qu’on voit à ma suite, à mon enterrement, ce sont les poux, les puces qui s’en vont en pleurant ». Cette première poésie renferme la clé mystérieuse du personnage, qui présentant physiquement de beaux traits, ne résiste pas à la tentation des femmes ni des cercles, mais qui porte en lui les germes de sa fin, une vie épurée, orientée vers l’au-delà dans la misère, l’errance et la frugalité.
Il rencontre en 1873 Rimbaud au « Tabourey », et décide de s’embarquer à Londres avec lui sur un coup de dé ! C’est en Angleterre qu’il fait la connaissance de Verlaine que je cite : « Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine, que nous nous sommes vus pour la première fois…, reconnus dès l’abord sur notre bonne mine. Puis la soif nous creusant à fond comme une mine, de nous précipiter… vers des bars attractifs… où de longues misses plus blanches que l’hermine, font couler l’ale et le bitter… boire sans soif à l’amitié future ! » . Son pécule s’épuisant vite en Angleterre, Nouveau décide de rentrer en France, encouragé par la promesse d’héritage de la succession maternelle, et vient s’installer à Charleville ou Rimbaud lui a trouvé une place de pion dans une institution. Puis il revient à Paris, s’installe à Montmartre, et en 1877 rejoint Verlaine à Arras. C’est Verlaine qui proposa d’emmener Nouveau en pèlerinage à Amettes, car il avait découvert la force de Benoît-Joseph Labre et lui avait même consacré un poème dans son recueil « Sagesse ». Nous sommes en 1878 et Germain Nouveau vient de rencontrer son nouveau modèle sans toutefois le comprendre immédiatement, mais à la suite d’une jaunisse qu’il prend comme un avertissement du ciel ! Verlaine, plus âgé, qui était définitivement rentré dans sa période religieuse, s’employa pendant quelque temps à convertir Nouveau en lui apportant chaque jour des lectures édifiantes, les « Fioretti », la « Légende Dorée », Sainte-Thérèse et Saint-François de Sales.
Peu après, revenu à Paris, travaillé par une forme de remord, il quitte son domicile, et vient loger place Saint-Sulpice à l’hotel Saint-Joseph où il s’écrie : « Je suis moine, je suis moine, je suis enfin moine ! Et je m’appellerai Humilis ». Comment ne pas faire de rapprochement avec Joris-Karl Huysmans, habitant du 6ème arrondissement qui alla, moine oblat, en retraite à Ligugé ? C’est à cette époque le début d’une vie chaste, enflammée par la prière et l’écriture « Gloire aux cathédrales ! Pleines d’ombre et de feux, de silence et de râles, avec leur forêt d’énormes piliers et leur peuple de saints, moines… » On nous dit qu’il ne sort qu’une seule fois par jour pour aller à la messe à Saint-Sulpice, qu’il ne confesse que de menus péchés, qu’il vit dans une sorte d’ivresse spirituelle, un peu comme Huysmans, terré dans le Poitou profond. Il devient légendaire dans le quartier, s’affuble d’une longue robe de chambre blanche qui lui donne l’aspect d’un moine dominicain, la tête entièrement rasée. Cette première crise mystique dure environ cent vingt jours, après laquelle il s’en retourne chez lui. Sa poésie s’en ressent à partir de 1881 : « C’est Dieu qui conduisait à Rome ce Saint qui ne fut qu’un pauvre homme, hirondelle de grand chemin, le vrai pauvre qui se délabre…C’était ce règne, et non Saint-Labre qui lui faisait la charité… ». Cependant le poète se réconcilie petit à petit avec le monde, écrit pour le Gaulois et le Figaro et Verlaine lui sert d’ange gardien : « Nouveau est un enfant qui a besoin d’être mené. Parfois je suis avec lui terrible, sans cela on n’en ferait rien ». Il trouve même un emploi au Ministère de l’Instruction publique mais, faute de régularité, il est obligé de démissionner en 1885. Peu après il s’embarque fortuitement pour Jérusalem avec un missionnaire, mais il est déçu par la réalité et retombe dans le péché, passant une nuit de feu avec une prostituée juive de Bethléem ! Là encore, quelle similitude de comportement avec Huysmans, perpétuellement attiré par la sainteté, et dramatiquement trahi par la chair.
De retour à Paris, il se met en ménage avec une certaine Valentine, en 1887, pour une année de bonheur et l’on pourrait avoir foi en cette belle formule que « Dieu tentait moins Humilis quand il était avec les femmes, que les femmes ne le tentaient quand il était avec Dieu » ! Après avoir perdu son emploi, Nouveau se trouve encore dans une situation financière délicate, passe un concours pour pouvoir enseigner le dessin et atterrit au collège de Remiremont. Isolé dans cette province lointaine, il connaît les mêmes affres que Huysmans à Ligugé et ne peut se résoudre à y demeurer trop longtemps. Il revient à Paris et enseigne à partir de 1891 au lycée Janson-de-Sailly. C’est là que se produit un jour un chahut rocambolesque des élèves de la classe de dessin qui le conspuent. Il se met alors à genoux sur l’estrade, se fige les bras en croix et entonne le « Veni Creator » ; alerté, le censeur arrive sur les lieux, le prie de quitter la salle, ce qu’il fait enfilant son manteau à l’envers. Rentrant chez lui en fiacre, il fait arrêter le cocher en plein milieu de la rue de Passy et, les bras en croix, arrête la circulation, puis chante de nouveau le « Veni Creator » sur le pavé ! Saisi par la police, il est mené à Bicêtre. Privé de sa liberté pendant une année environ, il retrouve tout son mysticisme dans l’enfermement, subissant des douches froides pour l’empêcher de réciter des psaumes ou des litanies. Enfin, sorti de cette impasse, il retrouve la Provence, Trets non loin de Pourrières, et se rapproche de sa sœur. Il prend alors la résolution « d’expier, humble parmi les humbles, le long des routes du monde » et il part bientôt à pied en pèlerinage à Rome, suivant l’exemple de Benoît-Joseph Labre. Arrivé sur place il trouve refuge dans une niche sur le flanc du Colisée, se laisse pousser les ongles et la barbe, ne se lave plus, ne change plus d’habit… Il prêche dans un mauvais mélange d’italien et de provençal des sermons qui attirent les curieux ; on lui amène des prostituées pour le moquer ; il se cache les yeux et s’écroule sur le sol en pleurant ; la police, finalement alertée par ces désordres, le pousse à s’exhiber ailleurs constatant plus de démence dans son comportement que de sainteté ! Revenu au sein de sa famille en Provence, toujours instable, il reprend sa route, chemine par Marseille et s’embarque pour Alger sur le « Maréchal-Bugeaud ». A son arrivée il élit domicile dans une auberge sordide de la Casbah. Pendant quelque temps il mène une vie dissolue, comme dans les pires moments, plus près de Mahomet que de Jésus, car la vie n’est pas chère. Il rentre néanmoins, pris par le remord, et rumine un vieux rêve : partir en pèlerinage à Compostelle ! C’est à cette époque qu’il se surnomme « frère Laguerrière » ; il ne reste pas très longtemps en Espagne et à son retour en Provence, en 1904, il reprend sa vie de dévot à Aix. Assoiffé de sainteté, il communie plusieurs fois par jour dans toutes les églises de la ville, à tel point que le bon curé de Saint-Jean-de-Malte, qui a d’abord fermé les yeux, est obligé de lui refuser la communion en guise de punition. Il effectue ensuite un dernier voyage à Paris, en 1905, loge rue de Varenne et revoit ses vieux amis. C’est l’époque où « frère Laguerrière » pose un cas de conscience au poète « Humilis » : il se reproche d’avoir publié des poèmes qui ont servi la notoriété de Germain Nouveau, au lieu de glorifier Dieu. A la suite il cherche à détruire une partie de son œuvre. Puis survient le temps des dernières années, où il finit par s’établir en Provence, achetant une petite maison qui existe toujours, pour mourir dans l’épuisement après une longue pratique d’ascèse à Pâques 1920.
Je ne soulignerais pas davantage le parallélisme avec la vie de Benoît-Joseph Labre ou de Huysmans, mais vous pourriez lire l’excellent « Dossier Germain Nouveau » préparé par Jacques Lovighi et Pierre-Olivier Walzer paru aux éditions de la Baconnière en 1971.
Jean-Denis Touzot, propriétaire de la basilique de Marçay