Fortune des livres

Sous la plume d’André Dinar (Georges André Delpeuch – 1883-1962) nous vous invitons à retrouver et à lire un livre bien intéressant à plus d’un titre puisqu’il évoque la situation du livre, de la lecture et de l’édition dans la première moitié du 20ème siècle :

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Nous sommes en 1938 et nous découvrons avec ironie que l’histoire ancienne peut encore être d’actualité quelques quatre-vingt ans plus tard et que nous ne tirons finalement jamais leçon des faits qui nous ont précédé. Nous ne résistons pas au plaisir de vous livrer quelques lignes du chapitre intitulé : « SURPRODUCTION ? » .

« Il serait paradoxal que la Librairie ait été épargnée dans la crise actuelle. A-t-elle été plus atteinte que d’autres commerces ? Il faudrait, pour répondre d’une façon satisfaisante, pouvoir faire le point avec précision et c’est ce qui présente le plus de difficultés dans une catégorie d’affaires où tout est approximatif. Il est vraiment trop facile de vouloir expliquer le marasme de la librairie en criant à la surproduction. En termes simples il y a surproduction quand la production dépasse les besoins de la consommation. Mais si l’on peut évaluer, sans trop se tromper, la consommation normale d’une ville, il est à peu près impossible de chiffrer ce qu’il faut de livres pour contenter le besoin de lire d’un nombre donné d’individus. Il y a en effet dans la vente des livres un facteur de sélection qui joue d’une façon difficile à apprécier. Les préférences du public sont mobiles, plus difficiles encore à prévoir que les caprices de la clientèle pour la mode féminine. Dans aucun autre métier il n’y a plus de déchet. Un éditeur est-il assuré de vendre tous les livres qu’il lancera sur le marché ? Assurément non. L’expérience a prouvé et prouve qu’il y aura toujours des invendus et que pour vendre cent volumes il faudra en imprimer le double, le triple, sinon davantage. Régulièrement les catalogues d’éditeurs s’enflent d’unités nouvelles, sans que celles d’avant aient épuisé leurs chances. Le métier du libraire détaillant devient de plus en plus difficile car non seulement il doit connaître les nouveautés de la semaine ou du mois, mais cette notion sans cesse grandissante ne doit pas lui faire oublier les titres de la saison passée, des lustres écoulés. Cette production annuelle qui s’ajoute sans cesse aux précédentes donne une impression de surproduction. On est parfois tenté de supplier les éditeurs d’essayer les douceurs d’une halte reposante afin de pouvoir se mettre à jour. Rêve impossible. Les éditeurs continueront à rouler leur rocher de Sisyphe ; s’ils s’arrêtaient de produire ils compromettraient leur renom commercial ! »

Il nous vient immédiatement à l’esprit que l’édition traditionnelle française d’aujourd’hui devrait enfin se résoudre à mieux gérer sa production, épargner le lecteur et le bon libraire des titres faciles qui encombrent inutilement ( notamment à cause du système de l’office ) les rayons, si elle veut encore sauver son économie face au numérique. Imitons l’agriculture qui commence à quitter le quantitatif industriel pour se placer raisonnablement sur le bio-qualitatif au risque de diminuer dans un premier temps son chiffre d’affaire. Symétriquement laissons le numérique en roue totalement folle et libre envahir notre univers et nous noyer dans une immensité incontrôlable… après quelques années de dégâts collatéraux, la nature humaine finira par reprendre ses droits !

Jean-Denis Touzot

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